Les Docteurs des Puissants : le Dr Theodor Morell des cocktails aux murmures médicaux à l’oreille d’Hitler


En 2023, France-Soir cherchant des informations sur l’état de santé du président Macron, s’est lancé à la recherche du Dr Jean-Christophe Perrochon, mystérieux médecin de l’Élysée, dont le rôle discret auprès des présidents français intrigue. Aurait-il assisté le président Macron à ne pas remplir ses promesses de campagne d’être transparent et de fournir ses bulletins de santé ? Cette investigation nous a inspiré une série inédite, "Les Docteurs des Puissants", où nous explorons les relations ambiguës entre santé et pouvoirs, les relations intimes et souvent controversées entre les médecins et les dirigeants qui ont façonné l’histoire.
Dans l’ombre des palais, des bunkers et des bureaux présidentiels, les médecins des dirigeants occupent un rôle unique : soignants des corps, confidents des âmes, et parfois conseillers influents. Qui sont ces docteurs qui veillent sur les puissants ? Quels traitements administrent-ils ? Que murmurent-ils dans l’intimité, entre injections et diagnostics ?
De l’Allemagne nazie à d’autres régimes, ce premier chapitre s’ouvre sur le Dr Theodor Morell, fidèle d’Adolf Hitler, et explore ces figures médicales qui, par leurs soins et leurs mots, ont marqué les coulisses du pouvoir et pour certains affectés le destin des nations.
Dr Theodor Morell : le "maître des injections" face aux maux de Hitler
Adolf Hitler, derrière son image de leader inébranlable, souffrait de multiples maux, physiques et peut-être psychologiques, aggravés par le stress de la guerre. Dès les années 1930, il se plaignait de troubles digestifs sévères : ballonnements, crampes abdominales, constipation alternant avec diarrhées, possibles symptômes d’un côlon irritable ou d’une gastrite chronique. Il endurait aussi des maux de tête fréquents, une sinusite chronique avec congestion nasale, et une insomnie persistante, l’empêchant de dormir plus de quelques heures. À partir de 1941, la fatigue s’intensifia, liée à la pression des revers militaires. Après l’attentat raté du 20 juillet 1944 (opération Walkyrie), des acouphènes (bourdonnements d’oreilles) et des blessures mineures s’ajoutèrent. Vers 1943-1945, des tremblements visibles de la main gauche et une démarche traînante firent suspecter une maladie de Parkinson ou un parkinsonisme, possiblement accéléré par le stress ou des facteurs iatrogènes.
En 1936, le Dr Theodor Morell, médecin berlinois aux méthodes excentriques, entre en scène, gagnant la confiance du Führer en apaisant ses troubles digestifs. Devenu son médecin personnel jusqu’en avril 1945, Morell administre un arsenal pharmacologique sidérant, documenté dans ses carnets : plus de 70 substances, parfois 28 doses par jour, via injections, pilules ou gouttes.
À l’oreille de Hitler, selon des témoignages de secrétaires comme Traudl Junge et des historiens comme Norman Ohler, Morell le rassurait, liant ses traitements à sa capacité à diriger. Il vantait l’effet revigorant de ses injections, flattant la prétendue robustesse du Führer, ce qui renforçait une dépendance quasi psychologique. Hitler, défiant envers d’autres médecins, le défendait avec ferveur, signe d’une confiance aveugle.
Les traitements administrés
- Vitamultin : un mélange breveté par Morell, combinant vitamines (B, C) et parfois des stimulants. Injecté ou donné en comprimés pour contrer la fatigue et les carences.
Pervitin (méthamphétamine) : un stimulant puissant, administré en pilules ou injections, jusqu’à plusieurs fois par jour, pour doper l’énergie lors de réunions ou discours.
- Cocaïne : appliquée en gouttes oculaires ou nasales, parfois inhalée, pour soulager la sinusite, les maux de gorge et redonner un coup de fouet rapide.
- Eukodal (oxymorphone) : un opioïde injectable, proche de l’oxycodone, prescrit pour les crampes abdominales et les douleurs post-1944, parfois en doses élevées.
- Barbituriques (phénobarbital, etc.) : donnés en comprimés ou injections pour calmer l’anxiété et induire le sommeil, contrebalançant les stimulants.
- Hormones animales : extraits de testicules, foie ou glandes surrénales (testostérone, corticoïdes bruts) injectés pour stimuler la vitalité et la libido, face à l’épuisement.
- Doktor Koster’s antigas pills : pilules pour les ballonnements, contenant de l’atropine (antispasmodique) et de la strychnine, un poison stimulant à faible dose.
Autres : Mutaflor (probiotique) pour la flore intestinale, glucose pour un regain d’énergie, bromures pour apaiser les nerfs.
Sabine Hazan, gastroentérologue américain, qui s'est intéressée depuis longtemps au rôle du microbiote, notamment dans la covid, décrit le rôle important des excréments dans un article intitulé "the scoop on poop" (le scoop sur les excrements) publié dans Renegade Health à l'hiver 2024 :
« Après 1930, l'intérêt pour le jeu avec les excréments est devenu très populaire parmi les riches et les célébrités. Un secret de pouvoir et de contrôle. Une capacité à se croire invincible. L'idée que l'on pouvait rajeunir en utilisant des excréments.
Un moment historique intéressant : en 1936, le Dr Theo Morell a donné à Adolf Hitler des capsules de Mutaflor, fabriquées à partir d'un extrait d'excréments d'un paysan bulgare, pour soigner ses flatulences chroniques. La consommation de méthamphétamine et le régime alimentaire à base de haricots n'ont pas amélioré son état et il a souffert de multiples accidents vasculaires cérébraux, de crises cardiaques et de schizophrénie avant son suicide en 1945.
On dit aussi qu'il était peut-être atteint de la maladie de Parkinson. Rétrospectivement, il n'était peut-être pas compatible avec les selles d'un paysan bulgare. Le rajeunissement n'est peut-être pas aussi évident qu'on le prétend, surtout si le résultat final est le suicide. »
Les effets sur Hitler
Initialement, les stimulants comme le Pervitin et la cocaïne dopaient son énergie, exaltaient son humeur et sa confiance, le rendant loquace et audacieux lors des offensives de 1939-1941. Mais, à long terme, les amphétamines ont pu amplifier l’irritabilité, la paranoïa et des décisions impulsives, comme des ordres militaires hasardeux (ex. l’invasion de l’URSS). L’Eukodal, apaisant au début, risquait la somnolence et la dépendance, embrouillant la pensée. Les barbituriques calmaient, mais alourdissaient, accentuant la fatigue. La strychnine, toxique, pouvait causer des tremblements ou une hyperstimulation.
Vers 1943-1945, les doses massives et combinées ont aggravé les tremblements, la confusion et l’état physique d’Hitler – peau pâle, posture voûtée, regard éteint – peut-être accélérant un parkinsonisme ou un effondrement cardiovasculaire.
Morell, limogé en 1945, laisse un mystère : ses soins ont-ils altéré le cours du Reich ?
Beaucoup de ces substances ont évolué ou disparu. Le Pervitin (méthamphétamine) est interdit, sauf rares dérivés (ex. dextroamphétamine) pour le TDAH, sous contrôle strict, vu les risques d’addiction. La cocaïne, jadis utilisée en ORL, est abandonnée en médecine courante, réservée à de rares anesthésies locales, car hautement addictive. L’Eukodal (oxymorphone) existe encore comme analgésique opioïde, mais sous surveillance pour éviter l’abus. Les barbituriques, jadis sédatifs, sont largement remplacés par des benzodiazépines, plus sûres, pour l’anxiété ou l’insomnie. Les hormones animales, brutes et imprécises, sont obsolètes, supplantées par des hormones synthétiques (ex. corticoïdes pour l’inflammation). La strychnine, toxique, est totalement abandonnée en médecine, autrefois utilisée en doses infimes comme stimulant. Le Vitamultin, concoction de Morell, n’a aucun équivalent moderne, jugé douteux.
Dans le Reich, il y avait aussi Félix Kersten, le masseur qui défiait Himmler
Un autre soignant a marqué l’ère nazie : Félix Kersten, physiothérapeute d’origine finlandaise, soignait Heinrich Himmler, chef de la SS.
Atteint de douleurs abdominales chroniques, Himmler trouvait un soulagement unique dans les massages de Kersten, une thérapie manuelle apprise auprès de maîtres orientaux. Dans l’intimité des séances, selon ses mémoires, Kersten plaidoyait pour la clémence, exploitant la dépendance d’Himmler à ses soins pour influencer ces décisions.
Il est crédité d’avoir sauvé des milliers de vies, dont des Juifs et des résistants, en influençant Himmler, Kersten a transformé ses soins en arme diplomatique. Après la guerre, son rôle reste débattu : héros ou opportuniste ?
Un rôle au cœur du pouvoir
Que disaient ces médecins aux puissants ? Ils promettaient force, apaisaient les doutes, et parfois orientaient subtilement leurs patients. Morell dopait Hitler, peut-être au prix de sa clarté mentale. Kersten, par ses mains et ses plaidoyers, détournait la cruauté d’Himmler.
Ces docteurs, témoins des failles de leurs patients, tenaient un pouvoir rare : soigner, apaiser, et parfois infléchir l’histoire.
Prochain volet : Le Dr Claude Gubler et François Mitterrand – un secret d’État au cœur de l’Élysée. Suivront les volets américains, avec le Dr Max Jacobson, alias "Dr Feelgood", de Kennedy, et les médecins de Biden et Trump, le volet chinois avec le Dr Li Zhisui de Mao Zedong, les médecins-conseils des bureaucrates de l’Union européenne puis retour en France avec l’absence de bulletins de santé d’Emmanuel Macron malgré ses promesses de campagne – un silence en guise de transparence. D’autres articles sur les liens entre les médecins et les sportifs comme Richard Virenque « dopé à son insu » évoqueront les recherches de performances de certains sportifs. Combien d’hommes politiques pourraient dire comme Virenque ? Restez à l’écoute !
Source : les carnets de Morell, où il documentait ses prescriptions. Blitzed: Drugs in the Third Reich de Norman Ohler (2015), une étude controversée, mais détaillée. Témoignages de contemporains (secrétaires, médecins comme Karl Brandt).
- Sources primaires : les carnets de Morell. Theodor Morell tenait des notes méticuleuses sur les traitements administrés à Hitler, détaillant les médicaments, les doses et parfois l’état du patient. Ces documents, saisis après la guerre et analysés par des historiens, sont conservés en partie aux Archives nationales des États-Unis et ont été étudiés par des experts comme Hugh Trevor-Roper (dans The Last Days of Hitler, 1947) et d’autres. Ces carnets se concentrent sur les aspects médicaux (injections, symptômes).
- Témoignages de contemporains : des proches de Hitler, comme ses secrétaires (Traudl Junge, Christa Schroeder) et des officiers du bunker (témoignages recueillis dans des ouvrages comme Inside Hitler’s Bunker de Joachim Fest, 2002), décrivent Morell comme un homme servile, cherchant à plaire à Hitler. Ils notent qu’il rassurait constamment le Führer sur sa santé, renforçant sa confiance en des termes flatteurs. Traudl Junge, par exemple, mentionne dans ses mémoires (Until the Final Hour, 2002) que Morell était perçu comme un fidèle dévoué, toujours prêt à encourager Hitler.
- Interprétations historiques : des historiens et auteurs, comme Norman Ohler dans Blitzed: Drugs in the Third Reich (2015), décrivent la dynamique entre Morell et Hitler. Ohler souligne que Morell, conscient de la personnalité narcissique de Hitler, usait de flatteries pour maintenir sa position. Il suggère que Morell promettait des effets miraculeux de ses injections, cultivant une dépendance physique et psychologique.
Article modifié le 9 juin 2025 pour inclure l'article et la citation de Dr Sabine Hazan sur le microbiote et le mutaflor.
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